Line Of Trust | Transparence et devoir de diligence

Épisode #2 | Transparence et devoir de diligence

 

Le manque de transparence dans la chaîne d’approvisionnement d’une entreprise peut provoquer des risques de corruption, ainsi que des impacts négatifs sur les travailleurs, les droits de l’Homme, l’environnement, les consommateurs et la gouvernance d’entreprise.

Episode #2 | Les intervenants

Shivani Kannabhiran

Shivani KANNABHIRAN

Lead Responsible Agricultural Supply Chains au sein de l'OCDE. Responsable de la promotion et de la mise en œuvre de la diligence raisonnable fondée sur les risques dans les chaînes de valeur mondiales. Expert en diligence raisonnable fondée sur les risques, avec une expérience et des réseaux en Chine, aux Philippines, en Thaïlande et au Viet Nam. Expert dans la lutte contre les risques liés au travail des enfants et l'intégration d'une perspective de genre dans la diligence raisonnable. 

 

Maylis Souque

Maylis SOUQUE

Secrétaire générale du PCN Français de l'OCDE.

 

Annie Lichtner

Annie LICHTNER

Avec plus de 25 ans d'expérience dans le journalisme et la presse écrite, Annie Lichtner est spécialisée dans les technologies du Web, l'IT et la transformation digitale. Elle anime et organise des conférences pour des grands salons comme eMarketing à la Porte de Versailles ou Paris Retail Week ou VIVATECH. Depuis 5 ans elle a crée sa plateforme média : MyDigitalWeek avec un pôle de huit journalistes IT et le collectif d'influenceurs La Brigade du Web. Les grandes entreprises telles que Orange, Engie, SNCF, La Banque Postale, Oracle et IBM, lui confient leur stratégie Social Media pour leurs événements.

Episode #2 | Les faits marquants

FAITS MARQUANTS Podcast Line of Trust - Le Devoir de Diligence

Recommandé par l’OCDE et progressivement imposé par des législations nationales, le « devoir de diligence » place la transparence en tête des objectifs à intégrer par les entreprises pour faire face à ces risques.

Il regroupe l’ensemble des composantes du processus que les entreprises doivent mettre en œuvre pour identifier, prévenir, et atténuer les impacts négatifs réels et potentiels de leurs activités, de leur chaîne d’approvisionnement et de leurs relations d’affaires.

Les explications de Shivani Kannabhiran (OCDE), et de Maylis Souque (PCN français), qui répondent aux questions de la journaliste Annie Lichtner (MyDigitalWeek). 

Pourquoi mettre en œuvre ce devoir de diligence? Quel est l'intérêt ?

Maylis : Pour plusieurs raisons. Du point de vue de l'entreprise, l'intérêt est gérer les risques, anticiper, pouvoir s'adapter aux crises. On pourrait parler du COVID, la crise actuelle, bien évidemment, c'est un risque. Les entreprises qui ont ces dispositifs de gestion des risques sont avantagées. Faire sa diligence raisonnable du point de vue de l'entreprise, c'est aussi être plus soutenable, plus durable et avoir des éléments positifs à mettre en avant auprès de ses investisseurs, de ses relations d'affaires, des pouvoirs publics, par exemple dans le cas des marchés publics. Mais du point de vue gouvernemental aujourd'hui, ce qui est aussi très important, avoir à l'esprit, c'est que la France adhère à ses principes directeurs de l'OCDE et donc elle attend de ces entreprises qu'elle les respecte. Et elle attend aussi que dans le monde entier et en France, ses principes de conduite responsable soient mis en œuvre.

Est-ce impératif, obligatoire ou bien facultatif ?

Maylis Souque : C'est une question très, très importante. Je répondrai les deux, mon capitaine. Les principes directeurs ne sont pas obligatoires au sens juridique du terme. On est dans du droit souple, dans du droit mou, dans des recommandations adressées aux entreprises. Donc, dans ce cadre là, on est dans une démarche volontaire, mais qui peut faire l'objet de conséquences dures lorsque l'entreprise a rendez-vous au PCN pour s'expliquer et pour trouver des solutions. Et là, on va avoir un enjeu réputationnel assez rapidement et aussi une opportunité pour mieux comprendre ces standards et les mettre en œuvre avec l'appui des PCN et des parties prenantes. Donc, on est dans quelque chose de mou, mais qui est de facto de moins en moins. Et surtout en France. Nous avons la Loi sur le devoir de vigilance qui intègre complètement cette méthodologie. Nous avons aussi la loi PACTE qui intègre et qui impose aux entreprises de prendre leurs décisions en conseil d'administration en prenant en considération les enjeux sociaux et les enjeux environnementaux de leurs activités. Et la Commission Européenne a annoncé début 2020 qu'elle allait présenter une nouvelle initiative sur ces sujets là, c'est l'initiative sur la gouvernance d'entreprise durable. Il va y avoir une consultation publique et la Commission Européenne va présenter, début 2021, une proposition de législation européenne, peut-être une directive sur le devoir de diligence des entreprises. On voit bien qu'il y a donc des attentes, tant du point de vue des pouvoirs publics, sur le devoir de diligence que des intérêts du point de vue des entreprises d'utiliser cette méthodologie pour être plus durable et plus soutenable.

Shivani : Le cadre de l'OCDE pour la diligence raisonnable fondée sur les risques, comme vous aves décrit tout à l'heure, sont des mesures précises que les entreprises doivent prendre. Cela va de l'attribution des responsabilités et de la propriété de la diligence raisonnable et la conduite responsable au niveau du conseil d'administration, par exemple, d'avoir ce principe et de mettre des mesures de gestion et pour déjà identifier les risques, dans le cadre de prévenir les risques qui peuvent être des impacts négatifs, d'atténuer et de traiter les risques pour les personnes et la planète. Et le dernier point que j'aimerais bien en fait souligner, c'est qu'en fait, c'est très important pour les entreprises de le mettre en place dans leurs opérations de direct et ça, c'est normal parce qu'elles ont des contrôles, mais aussi dans la chaîne d'approvisionnement, et ça, c'est plus compliqué, c'est plus complexe parce que la chaîne en fait c’est des chaînes globales. Nous parlons vraiment de différents niveaux dans une chaîne qui implique plusieurs pays par exemple.

On vient d'évoquer les devoirs de diligence. C'est justement ce que je trouve intéressant, quels sont les champs d'application ?

Maylis : Peut être autour de trois questions : le champ d'application, le périmètre géographique d'abord. Les principes directeurs de l'OCDE, dont on parle aujourd'hui, s'appliquent logiquement sur le territoire des États adhérents : 49 États aujourd'hui, l'OCDE, quasiment toute l'Amérique latine, une partie de l'Afrique du Nord. Mais la subtilité de cette norme et son intérêt, c'est son extra territorialité. Parce qu'en fait, toutes les entreprises domiciliées dans ces 49 États vont devoir suivre ces recommandations dans toutes leurs activités à l'international. Et le deuxième élément après le critère géographique, les entreprises visées, je vais très vite, toutes les entreprises, tous les secteurs, quelle que soit la taille de l'entreprise. Mais surtout, cela s'applique à l'entreprise au sens de la maison mère, évidemment, ses filiales et les entreprises qu'elle contrôle, mais également ses relations d'affaires. Donc, l'entreprise va devoir être vigilante à ce que les relations d'affaires qu'elle a, par exemple, ses fournisseurs, ses sous-traitants, soient raccord avec ses normes. Et donc, là, on voit bien que ajouté au concept d'application dans le territoire des États et à partir du territoire des 49 États, on a là un double niveau qui rend la norme complètement adaptée à la mondialisation et qui permet de réagir et d'intégrer les atouts et les inconvénients, on va dire, de la mondialisation. Et le troisième élément qui est thématique : quels champs ? Quels sont les risques couverts ? On l'a dit les droits de l'Homme, les droits des travailleurs, les droits fondamentaux des travailleurs, la liberté d'association, etc., l'environnement, donc la prévention des dommages à l'environnement, la mise en place de politiques pour réduire les impacts négatifs, les questions de santé et sécurité au travail qui sont intégrées dans le chapitre sur les droits des travailleurs et les relations industrielles, et puis, évidemment, la fiscalité, on en parle beaucoup au PCN français. Nous traitons actuellement deux cas sur le sujet, la fiscalité, la concurrence, la lutte contre la corruption et un chapitre très technique, très intéressant, la publication d'informations qu'on appelle dans notre langage le reporting extra financier et aussi financier, parce qu'en fait, ça paraît couler de source en Europe  mais dans beaucoup de pays du monde, les entreprises ne sont pas tenues de publier des informations sur leurs activités, sur leur gouvernance et les principes directeurs de l'OCDE, je ne peux pas dire l'impose, mais le recommande vivement. Et c'est un point qui est régulièrement soulevé dans les saisines puisque les parties prenantes, les riverains, les entreprises n'ont aucune information sur ces entreprises. Donc, cette question de publication d'informations, ça rebondit avec des questions de gouvernance, de transparence et ça rejoint quelque part aussi la confiance qui parfois fait défaut entre le monde de l'entreprise et les citoyens.

Est-ce que vous pouvez nous donner des actions pratiques ? Des exemples concrets menées par des groupes industriels ?

Maylis : Oui, je peux vous citer, par exemple, dans le secteur de la banque, on a deux très grandes banques françaises qui sont les premiers acteurs du secteur financier à avoir signé les fameux accords cadres mondiaux. C'est un élément très important parce que ça permet d'offrir à l'ensemble des travailleurs de ces deux banques la garantie que les droits fondamentaux des travailleurs reconnus par l'OIT et donc par la France, bien évidemment, seront garantis. Alors, je ne vais pas rentrer dans le détail de ces accords, mais c'est très important de l'avoir à l'esprit. J'ai aussi à l'idée un autre grand groupe industriel qui a signé très récemment un accord cadre mondial spécifique et qui là met en place un comité, on va appeler ça un comité multipartite, qui permet à ce grand groupe et à ce grand syndicat de faire des points de rendez-vous pour évoquer les sujets relatifs à la vie de l'entreprise et à ses questions autour de la vigilance. Et cet accord, ce cadre de dialogue, il s'ajoute aux accords collectifs existants dans les pays où le groupe est implanté. Un autre exemple, c'est un dispositif mis en place par de nombreux distributeurs pour justement réaliser cette identification des risques dans leur chaîne d'approvisionnement. Donc, là, on est plus sur la relation entre la société mère et ses filiales, mais sur l'aspect fournisseur. Et on a vu aussi avec la crise du COVID, que de nombreuses entreprises ont dû mettre en place des actions spécifiques pour identifier la situation COVID dans leurs fournisseurs, vérifier la distribution des produits sanitaires chez leurs fournisseurs et parfois aussi dans leurs filiales. Donc, des actions extrêmement concrètes qui sont mises en place par les entreprises et qui vont nécessiter aussi souvent une gouvernance spécifique pour avoir une remontée d'informations au niveau des sites, au niveau des pays, régions, ou sièges, pour accompagner le déploiement des mesures de prévention et de gestion du risque épidémique.

Pour mettre tout ça en place, existe-t-il des outils au sein de l'OCDE ?

Maylis : Bien sûr. En fait, je vais parler de deux types d’outils. Déjà des outils techniques, plus des normes de l'OCDE et les guides spécifiques dans des secteurs de diligence raisonnable, par exemple, dans le secteur de l’agriculture ou le minerai, on a des outils pour, par exemple, l'évaluation des alignements des programmes de certification et des conseils pratiques sur des risques spécifiques, par exemple le travail des enfants. En termes des outils d’accompagnement, l'OCDE soutient également un programme de mise en œuvre multipartite dans certains secteurs qui rassemble les entreprises, la société civile, les groupes des travailleurs et, bien sûr, les décideurs politiques pour relever les défis soulevés par la diligence raisonnable.

Le troisième outil, ce sont les PCN, parce que la mise en œuvre, ça peut être aussi les conflits et les différends. Et donc là, les PCN sont aussi des outils pour aider à régler les différends et pour expliciter les normes donc on a des colloques. Je sais qu'en Belgique, on a déjà organisé des séminaires sur la corruption, sur le textile, nous, on l'a fait aussi sur d'autres thèmes donc c'est aussi le troisième outil sur lequel l'OCDE peut s'appuyer pour compléter les dispositifs.

Comment se positionne la France par rapport aux autres pays qui font partie de l'OCDE ?

Maylis : On a un positionnement relativement facile, si vous pouvez me permettre l'expression, dans le sens où, avec le vote de la Loi sur le devoir de vigilance en 2017, entrée en vigueur en 2017, c'est une loi pionnière, unique au monde. Donc, on est précurseur et la France a souvent été précurseur sur les questions relatives à la RSE. Donc, aujourd'hui, on a ce dispositif qui est là, qui existe, qui se met en œuvre, qui a fait l'objet de certains rapports du CGE, notamment un rapport académique remis au BIT à l’OIT. Et l'importance pour nous, c'est de faire connaître évidemment le dispositif législatif, mais de continuer à échanger avec nos partenaires au niveau de l'Union Européenne dans la perspective de cette discussion dont je parlais tout à l'heure début 2021, où la Commission fera une proposition sur un projet européen de devoir de diligence. Donc parmi différents outils politiques, notamment le Plan national d'action pour les entreprises et les droits de l'Homme et également le Plan national sur la lutte contre la déforestation importéé, deux outils français, il est prévu qu'on travaille au niveau européen pour avoir un portage européen de cette notion du devoir de diligence, donc une obligation légale à discuter. Donc, nous sommes évidemment ouverts au dialogue avec nos partenaires européens et la Commission. Et nous suivons aussi les travaux qui sont en cours aux Nations Unies, donc là, on bascule sur une autre organisation, où il y a aussi des discussions intéressantes sur des projets de traités ou d'instruments contraignants sur les entreprises et les droits de l'Homme. Là, c'est une échéance plus longue, mais nous suivons ces éléments là avec intérêt.

La blockchain semble naturellement être la technologie pour mettre en place des process. Quel est votre avis ?

Maylis : En deux mots, les technologies modernes sont sans doute très utiles. Ça fait partie des éléments utiles pour ce devoir de diligence. C'est utilisé par les entreprises et par des organisations collectives d'entreprises et actuellement, on travaille aux Nations Unies aussi sur un projet qui intègre la blockchain, sur la traçabilité dans le secteur du coton. Donc des éléments certainement très utiles.

Shivani : La blockchain est une technologie passionnante, potentiellement innovante, voire révolutionnaire. Mais il faut veiller à ce que tout ce qui entre dans la chaîne soit vrai et valide. Comme on dit en anglais garbage in, garbage out. Mais nous devons également nous méfier que la technologie ne devienne pas un obstacle pour entrer dans un marché formel et responsable. Il faut penser à tous ces types de contraintes. Chaque novembre, l’OCDE organise un Global Blockchain Policy Forum, un de ces forums qui sont axés sur les implications politiques de la blockchain et ses applications. 

 

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